8.31.2007

Etat d'âme (où l'auteur lève, pudique, un coin de voile sur son spleen)

Ces Cahiers, après un insensé mois d'août - une habitude chez moi -, présentent un aspect plus pitoyable que jamais, et vous pouvez m'en croire, cher(s?) lecteur(s?), je suis le premier à le déplorer. Mais quand les forces de vie reprennent brutalement le dessus sur l'esprit, il devient difficile, voire intenable, de s'appliquer à faire retour en soi-même pour en extraire quoi que ce soit de bon. En cette saison il semble que toute bonne nourriture ne nous provient que de la nature! Dieu merci tout a une fin, et septembre menaçant d'apparaître incessamment sous peu, il m'est permis d'espérer pouvoir enfin retrouver les capacités et le temps d'alimenter ces pages comme elles le mériteraient.

D'ici là, et puisque les règles ne sont faites que pour être bafouées, la pensée de ce vendredi ne sera pas une pensée, mais un poème. Attention, cependant, pas la première faribole venue, non! un poème de Lord Pierrot lui-même, l'immense Jules Laforgue, cet éternel exilé mort à mon âge (et en août, par dessus le marché!), comme une icône rock digne de ce nom. La complainte mélancolique suivante s'accorde en tous points aux ruminations actuelles de mon âme.


Complainte du pauvre Chevalier-Errant


Jupes des quinze ans, aurores de femmes,
Qui veut, enfin, des palais de mon âme?
Perrons d'œillets blancs, escaliers de flammes,
Labyrinthes alanguis,
Edens qui
Sonneront, sous vos pas reconnus, des airs reconquis.


Instincts-levants souriant par les fentes,
Méditations un doigt à la tempe,
Souvenirs clignotant comme des lampes,
Et, battant les corridors,
Vains essors,
Les Dilettantismes chargés de colliers de remords.


Oui, sans bruit, vous écarterez mes branches,
Et verrez comme, à votre mine franche,
Viendront à vous mes biches les plus blanches,
Mes ibis sacrés, mes chats,
Et, rachats!
Ma Vipère de Lettres aux bien effaçables crachats.


Puis, frêle mise au monde! ô Toute Fine,
Ô ma Tout-universelle orpheline,
Au fond de chapelles de mousseline
Pâle, ou jonquille à pois noirs,
Dans les soirs,
Feu-d'artificeront envers vous mes sens encensoirs!


Nous organiserons de ces parties!
Mes caresses, naïvement serties,
Mourront, de ta gorge aux vierges hosties,
Aux amandes de tes seins !
Ô tocsins,
Des coeurs dans le roulis des empilements de coussins.


Tu t'abandonnes au Bon, moi j'abdique;
Nous nous comblons de nos deux Esthétiques;
Tu condimentes mes piments mystiques,
J'assaisonne tes saisons;
Nous blasons,
A force d'étapes sur nos collines, l'Horizon!


Puis j'ai des tas d'éternelles histoires,
Ô mers, ô volières de ma mémoire!
Sans compter les passes évocatoires!
Et quand tu t'endormiras,
Dans les draps
D'un somme, je t'éventerai de lointains opéras.


Orage en deux cœurs, ou jets d'eau des siestes,
Tout sera bien, contre ou selon ton geste,
Afin qu'à peine un prétexte te reste
De froncer tes chers sourcils,
Ce souci:
«Ah! Suis-je née, infiniment, pour vivre par ici? »


- Mais j'ai beau parader, toutes s'en fichent!
Et je repars avec ma folle affiche,
Boniment incompris, piteux sandwiche:
Au Bon Chevalier-Errant,
Restaurant,
Hôtel meublé, Cabinets de lecture, prix courants.

8.24.2007

Renaissance (où l'auteur reprend du service le coeur léger)

Et pour entamer ma propre "rentrée littéraire" alors que tout Saint-Germain-des-Prés frétille fébrilement du croupion autour des nombreux buzz de la collection Automne/Hiver 2007 (je vous en fouterai, moi, de la rentrée...), qui choit ces jours-ci avec fracas par piles démesurées sur les étals, je vous fais part, vendredi oblige, de cette juste réfléxion de Sainte Simone Weil sur le mal, trouvée dans La pesanteur et la grâce.

"Littérature et morale. Le mal imaginaire est romantique, varié, le mal réel morne, monotone, désertique, ennuyeux. Le bien imaginaire est ennuyeux; le bien réel est toujours nouveau, merveilleux, enivrant. Donc "la littérature d'imagination" est ou ennuyeuse ou immorale (ou un mélange des deux). Elle n'échappe à cette alternative qu'en passant, en quelque sorte, à force d'art, du côté de la réalité - ce que le génie seul peut faire."

Quant à la rentrée littéraire, elle attendra pour ma part quelques jours de plus.

8.14.2007

Message de quelques provençaux au reste du monde (où l'auteur s'adjoint l'aide d'un fameux Manosquin pour assassiner Tartarin)

En cette période estivale plus qu'à tout autre temps de l'année, le système nerveux des personnes qui partagent avec moi le privilège relatif de vivre dans la région PACA est mis à rude épreuve. Un tumulte infini nous ébroue, de la plage la plus chic de la Riviera jusques aux contreforts les plus escarpés de nos montagnes bas-alpines : la nuée bruyante et bariolée du tourisme international s'épanche sans vergogne et traîne sur nos terres son lot de familles sans-gêne, d'appareils numériques dernier cri, de cuistres et de bellâtres peu soucieux du ridicule et de la grossièreté qui perlent à grosses gouttes de leur cuir graisseux. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'ils viennent jusque dans nos bras égorger nos filles et nos compagnes, mais peu s'en faut. Cohorte harassante dont le spectacle et la proximité poussent souvent l'autochtone au retranchement dans les ombres et à l'abattement mutique. Tous les parlers se mêlent en un si parfaite cacophonie chorale, se muent en un tel charabia choquant qu'on pourrait se prendre à croire, l'espace d'un instant, au rétablissement soudain de la tour de Babel. Mais non, il ne s'agit que de Babylone.

Bref, c'est toujours pareil : la même colère m'étreint alors que je passe devant les étals de ces petites boutiques de souvenirs et produits locaux où se massent en grappe, tels des moustiques sur une ampoule, ces étranges envahisseurs, ces incorrigibles béotiens qui ne semblent priser aucune valeur au monde autant que le pittoresque. Que ne donneraient-ils pas, ces veaux, pour un peu de couleur locale, un petit quelque chose de typique! C'est qu'il leur faut acquérir, si possible prestement et aisément, le sentiment qu'ils ne se sont pas déplacés pour rien, que ce pays qu'ils prennent le temps de visiter est vraiment différent de leur lointain chez eux! Et le défilé incessant des petits billets froissés et trempés de sueur fait bien sûr le bonheur de nos marchants d'huile d'olive frélatée ou de croûtes qui reproduisent sempiternellement le même champ de lavande morne et plat pris sous tous les angles imaginables, commerçants qui s'engraissent sans remuer le plus petit doigt, un sourire à vocation universelle au bord des lèvres, sur le dos de toute la Provence.

Car c'est bien là où je voulais en venir, avant de me perdre moi-même dans les méandres de mon indignation : les méridionaux sont les premiers à pâtir de l'image déplorable que donne d'eux l'inusable litanie de clichés qui leur sert d'identité aux yeux d'autrui et, au premier chef, des autres Français. Nous est-il donc nécessaire de nous dénaturer ainsi pour être présentables à la face du monde? Y a-t-il par exemple rien de plus moquable, détestable, risible que cet atroce portrait du Provençal que l'on a tracé, depuis Tartarin de Tarascon jusqu'à Taxi! Oui, s'il fallait chercher une source, un fautif sur qui nous délester de ce crime impuni dont nous sommes encore les victimes silencieuses, il faudrait sans doute chercher du côté d'Alphonse Daudet et de sa créature honnie. Tartarin, cet imbécile, ce drôle, ce matamore que l'école républicaine donna en inamovible modèle de son type à toutes les têtes enfantines un siècle durant! Voilà autre chose que le soufflet de Banania sur la joue du tirailleur sénégalais! Quelle iniquité, quelle offense scélérate perpétrée froidement par la Nation contre l'un de ses petits! Cherchez bien, vous ne trouverez aucun équivalent en ignominie à cet uluberlu en quelque autre région de France. Bécassine, tout au plus...

Il faut en finir une bonne fois pour toutes avec ce mythe infâmant du Provençal jovial, fort en gueule et débonnaire. Il devrait aller sans dire que les Provençaux ne sont ni plus ni moins joviaux ou grande gueule que les autres hommes. Tout au plus pourrait-on soupçonner que chez eux le dionysiaque l'emporte un peu sur l'appolinien, pour reprendre les termes de l'opposition telle qu'établie par Nietzsche. Opposition elle-même schématique, bien entendu. Vous me répondrez que les sudistes eux-mêmes se sont grâcieusement prêtés au jeu de massacre et n'ont pas franchement oeuvré pour faire mentir cette réputation usurpée... Pagnol, Fernandel et Raimu, cette clique maudite, en premier lieu, qui fut si fière de singer la Provence et ses habitants et de pousser le vice jusqu'à la plus ignoble caricature! Ah, nous l'a-t-on assez rebattue, la partie de cartes! Bien sûr, que la perpétuation de cette blague marseillaise revient en bonne part à des méridionaux. Eh, qu'allez-vous croire? Notre peuple, comme tous les autres, a ses traîtres! Et ne parlons même pas de cette inoffensive plaisanterie que l'on appelle gentiment le "patois" provençal. C'est encore trop cher payé.

S'ils ne sont pas ridicules, ces cul-terreux fiers de leur ostracisme qui cultivent avec un bel orgueil, en roulant laborieusement dans leur palais les syllabes les plus cocasses, le parler provençou! Si je ne l'avais pas déjà fait il y a un mois de cela, je solliciterais encore pour les décrire au plus vrai les paroles de ce Sétois qui railla en son temps "les imbéciles heureux qui sont nés quelque part". Qu'on me comprenne : il est des régionalismes qui se défendent, et des langues régionales qui résistent à juste titre. Ainsi du gaélique, cette langue unique par son originalité et sa fécondité, ou dans une moindre mesure de l'occitan, dont l'importance historique et littéraire n'est plus à prouver. Mais le provençal! Cette soupe verbale inconsistante, ce pistou remâché, ce parler abâtardi d'italiens ralliés trop tard au territoire de France! Non, pardon! Je ne suis pas le seul, du reste, à confesser la honte cuisante que me donne l'image déformée que l'on me renvoie, ce reflet menteur que l'on me tend comme une vérité, et qui n'est qu'une escroquerie pour touristes et Parisiens éberlués (il ne fallut rien moins que Claude Berry ou Yves Robert pour répondre à cent ans de distance, via l'apostat Pagnol, à la force d'insultes d'un Alphonse Daudet!). Mais je laisse l'un des plus grands chantres de ce Sud inconnu et méprisé vous en convaincre mieux que moi. Voilà comment Jean Giono, dans les entretiens qu'il eut avec Jean Carrière en 1965 à Manosque, parle, avec sa voix étonnamment fluette et pourtant chantante, de la Provence où il passa sa vie :

J’aime ce pays. Je l’aime comme Swann aimait Odette : en se rendant compte finalement que c’était la femme qui ne lui convenait pas, que c’était pas son type. Hé bien, la Provence n’est pas mon type de pays.(…) C’est donc un pays que j’aime. J’aime ses odeurs, j’aime sa façon d’être, mais je l’aime mieux que ce que l’aiment les félibres, je l’aime trop, je l’aime plus qu’eux. Parce que je n’aime pas que l’on en fasse un portrait ridicule. Or, le personnage du Provençal hâbleur, joueur de boules, buveur de Pastis, il existe, mais il existe en minorité. Et ce n’est pas sur celui-là qu’il faut porter l’accent. C’est sur un autre, sur un Provençal beaucoup plus latin, beaucoup plus humain, beaucoup plus secret. Evidemment, j’en connais beaucoup plus en Haute Provence qu’en Basse, mais je sais aussi qu’en Basse Provence ils sont pareils, ils sont beaucoup plus solides que ça. Un personnage que je déteste, et qui n’existe pas, c’est Tartarin de Tarascon. Ca n’existe pas Tartarin de Tarascon. Pourquoi ? Tartarin de Tarascon, c’est un livre sur la Provence écrit par un Parisien. C’était pas un livre de Provençal. Un Provençal doit donner de son pays une idée beaucoup plus haute et d’abord, une idée beaucoup plus juste ; et cette idée beaucoup plus juste en donnera une idée beaucoup plus haute. Voilà le problème posé.

Son avis sur le patois provençal n'est pas moins tranché :

Je n’aime pas, quand on a à sa disposition une langue aussi belle que le français, qu’on se serve d’une autre langue quand on a à s’exprimer et qu’on est en France.
[La langue de Frédéric Mistral], c’est une langue inventée, et on ne peut pas le lui reprocher. Et ce que je sais, c’est que je suis incapable de lire Mistral dans le texte. Ce que je sais, c’est que des quantités de paysans autour de moi sont incapables de lire Mistral dans le texte, ce que je sais, c’est que tout ceux qui se flattent de lire Mistral dans le texte ne peuvent pas tous le lire. (…) Alors quand on a à sa disposition une langue aussi belle que le français et aussi… importante à écrire que le français, et aussi riche en expressions que le français, on n’écrit pas dans une langue qui n’est plus comprise que par une cinquantaine d’apothicaires. C’est une aventure… c’est une tartarinade du siècle dernier. Ca ne correspond plus à notre époque, à l’époque présente. Ca a pu amuser un peu le peuple pendant un certain temps, à une époque où il y avait encore la possibilité de rigoler, et qu’on avait pas le cinéma. Maintenant, on a autre chose à faire, nous avons quand même à exprimer des drames beaucoup plus profonds. Chaque fois qu’on me parle provençal et qu’on essaye de me le défendre (…), on me dit : "Il y a des mots en provençal qui ont une sonorité extraordinaire qu’on ne retrouve pas en français." Oui, mais il y a en français des mots qui ont une sonorité qu’on ne retrouve pas en provençal. Et, comme par hasard, ce sont des verbes, et la phrase est articulée sur le verbe. Un verbe, ça donne à la phrase toute sa force et sa vigueur et sa richesse. Et tu as, dans le français, des harmonies qu’il est impossible de reproduire en provençal. Je considèrerai que le provençal est une langue quand je lirai un traité de géométrie en provençal, ou un traité de trigonométrie en provençal, ou une chimie en provençal. A ce moment-là, je dirai : "C’est peut-être une langue."

Demandez-vous encore, après ça, pourquoi Giono put avoir, à la différence de "l'immortel" jocrisse Marcel P., le profond respect d'auteurs et critiques aussi férocement justes qu'André Gide, Drieu la Rochelle ou Henry Miller... Provençaux, un peu d'amour-propre! Cessez donc de vendre votre image au rabais, de vous solder et vous dégrader tout en continuant, pour le symbole et la forfanterie, à vous vanter d'un piteux jargon qui vous discrédite! Tordons le cou à Tartarin et son encombrante descendance, Topaze, Marius, Fanny et compagnie! Hop, tous enfermés dans le Château de ma mère! Qu'on leur passe les fers, à ces renégats! Et puis, d'un château l'autre, ressuscitons Sade, pour la peine : que cet autre grand du Midi se charge de perpétrer sur eux, en guise de châtiment, les délices qu'il imagina pour ses 120 journées de Sodome!

8.11.2007

La pensée en retard du vendredi (où l'auteur constate effaré que les semaines sont plus rapides que lui)

Tout le monde n'a pas la chance d'être en vacances, et je dois reconnaître que mon implication en ces pages autant que ma ponctualité en pâtissent. Mais mieux vaut tard que jamais, n'est-ce pas? Je vous propose donc de méditer une très sage parole de Chamfort, cet auvergnat qui non content d'être un aphoriste de génie et l'auteur d'amères maximes s'illustra également par l'une des plus édifiantes et laborieuses "TS" avortées de l'histoire. Preuve supplémentaire que l'on peut être une flèche dans le domaine de l'esprit et le dernier des nigauds dans l'ordre du pratique : quelle idée saugrenue de vouloir attenter à sa vie quand on est l'un des Immortels!

"Un homme d'esprit est perdu s'il ne joint pas à l'esprit l'énergie de son caractère. Quand on a la lanterne de Diogène, il faut aussi avoir son bâton."

Concis, martial presque, mais si juste.

8.03.2007

La pensée du vendredi (où l'auteur se lance dans le rubriquage hebdomadaire)

J'entame dans la joie et l'allégresse ce mois d'août 2007 avec une bonne résolution : instaurer ici une rubrique régulière de citations. Et je le fais sans plus tarder avec, en guise d'inauguration, une pensée littéraire lucide de l'immortel auteur de La littérature à l'estomac.

"Dans la chasse aux mots justes, les deux races : la race des oiseleurs et celle des traqueurs : Rimbaud et Mallarmé. Le pourcentage des seconds dans la réussite est toujours meilleur, leur rendement peut-être incomparable - mais ils ne rapportent pas de gibier vivant."

Julien Gracq, Lettrines (1967).

A mon grand dam, j'appartiens sans doute possible à la seconde catégorie...

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