4.14.2007

Héros et tombes

Dans ma grande bonté, j'ai décrété que j'allais sans attendre vous gratifer d'extraits conséquents d'une autre oeuvre qui m'est chère, celle d'Ernesto Sabato (et d'Ernst à Ernesto, il n'y a pas grand-chose).



Et plus particulièrement du roman le plus abouti et le plus ample de l'autre vieil aveugle argentin, à savoir Héros et tombes. Pour ceux qui ne connaitraient pas, il s'agit de l'histoire de Martin del Castillo, garçon un peu rêveur et perdu qui va voir sa vie bouleversée par sa rencontre avec l'étrange Alejandra, une jeune fille dont le destin semble être marqué par la folie de son père, Fernando Vidal, paranoïaque auteur d'un halluciné Rapport sur les aveugles. Héros et tombes forme le panneau central d'un incroyable triptyque romanesque dédié à Buenos Aires, commencé avec Le tunnel et achevé avec L'ange des ténèbres. Bref, j'arrête de faire mon Assouline, les phrases qui vont suivre seront sans doute plus convaincantes que tout mon blabla...

"Et il se dit aussi : est-il possible que tous les espoirs des hommes soient aussi grotesques? En effet, la nature humaine étant ce qu'elle est, nous plaçons tous nos espoirs dans des événements qui, s'ils avaient lieu, ne nous apporteraient que frustration et amertume; motif pour lequel les pessimistes se recrutent parmi les ex-optimistes, puisque, pour avoir une vision noire du monde, il faut d'abord avoir cru en lui et en ses possibilités. Finalement, il est encore plus curieux que les pessimistes, une fois déçus, ne sombrent pas dans un désespoir constant et systématique, mais semblent disposés, d'une certaine façon, à faire renaître à chaque instant leur espérance, même s'ils la dissimulent, par une sorte de pudeur métaphysique, sous leur masque noir d'ames universels."

"Et il se souvint que Bruno disait qu'il est terrible de voir un homme qui se croit complètement seul, qui en est sûr, car il y a alors en lui quelque chose de tragique, peut-être même de sacré, et en même temps d'horrible et de honteux. En effet nous portons toujours un masque, disait-il, un masque chaque fois différent, qui change à chaque rôle que nous assigne la vie, le masque du professeur, de l'amant, de l'intellectuel, du mari trompé, du héros, du frère affectueux. Mais quel masque mettons-nous ou gardons-nous quand nous sommes seuls, quand nous croyons que personne, absolument personne, ne nous observe, ne nous surveille, ne nous écoute, ne nous presse, ne nous implore, ne nous commande, ne nous attaque? Il se peut que le caractère sacré de cet instant soit dû à ce que l'homme se trouve face à face avec la Divinité, ou du moins avec son implacable conscience. Peut-être que personne ne pardonne jamais à celui qui a ainsi surpris l'essentielle nudité de son visage, la plus terrible et la plus essentielle des nudités car elle révèle l'âme toute entière."

"Il en va de même avec les mythes nationaux, qui sont également fabriqués pour décrire avec précision l'âme d'un pays. C'est ainsi que j'en arrivais à penser que la légende de Guillaume Tell décrivait fidèlement l'âme suisse : quand l'archer toucha la pomme de sa flèche, probablement le coeur même de la pomme, les Suisses perdirent leur seule chance historique de connaître une grande tragédie nationale. Mais que peut-on attendre de ce pays?Une race d'horlogers, dans le meilleur des cas."

"Si on alignait tous les salauds de la planète, quelle formidable armée on verrait et quels échantillons inattendus! (...) Quel armée, bon Dieu! Avancez, fils de putes! Pas question de s'arrêter en route pour pleurnicher, maintenant que vous allez voir ce que je vous ai préparé!
Salauds, à droite, droite!
Quel merveilleux spectacle, ô combien édifiant!
Chaque soldat sera nourri de sa propre saloperie, convertie en excrément réel (non métaphorique), sans aucune considération, sans piston. Pas question que le fiston de Monsieur le Ministre mange son pain dur au lieu de son caca personnel. Oui, monsieur, ou on fait les choses comme il faut, ou on ne les fait pas. Qu'il bouffe sa merde. Encore mieux, qu'il bouffe toute sa merde. Il ferait beau voir que nous admettions qu'il en prenne seulement une quantité symbolique. Pas de symboles! Chacun doit bouffer toute sa saloperie, ni plus ni moins. C'est juste et ça se comprend (...). A chacun sa part de merde ou rien du tout. Inutile de compter sur moi, du moins pour des petites combines de ce genre."

5 commentaires:

Captainpascal a dit…

Héros et Tombes, Ernesto Sabato. C'est noté et ce sera ma prochaine lecture.

Captainpascal a dit…

Pas trouvé à la bibliothèque du 5ème. Tiberi va me le payer cet enculé !

TheNightWatch a dit…

C'est sans doute Xavière qui l'a emprunté! Mais je serais vous je ne me plaindrai pas trop : quand on a la chance d'habiter Paris, tous les bouquins sont à portée de mains, d'une manière ou d'une autre! A Sainte-Geneviève vous trouverez certainement votre bonheur. Pour ma part je viens tout juste de recevoir Le soleil et l'acier, acquis sur vos conseils (je sens que je ne vais pas le regretter) mais j'attends toujours Arcadia! Quelle bande de branleurs sur le site de la FNAC!

Anonyme a dit…

La nudité est par nature monstrueuse, et surtout chez les hommes ; qui sont à la naissance les animaux les plus nus de la création -peut-être avec les oisillons. Mais les oisillons sont très laids aussi, n'est-ce pas? Je dirais que c'est pour cela que dieu a dit à Adam et Eve de se couvrir. Ils se prenaient pour des animaux. Or les premiers hommes étaient infiniment plus répugnants, sans doute.
Il en est de même pour la virginité spirituelle qui se lit sur le visage : la vraie innocence a quelque chose d'obscène. C'est cela l'âge ingrat. Il est certain qu'il faut parvenir à un certain degré de perversité pour ressentir une quelconque attirance physique pour l'Idiot de Dostoïevski. C'est une attirance de type pédophile...

A vrai dire, le péché originel est une invention qui masque je crois la crainte des hommes vis-à-vis de leur propre faiblesse naturelle.
Je ne connais que le désir pour rédimer la chair de la terreur qu'elle suscite. L'amour est la seule force qui réussisse transformer en princes les grenouilles... ;)

signé : la vengeresse masquée

TheNightWatch a dit…

Oui l'innonence est obscène car ne connaissant pas la Faute, elle n'a pas besoin de pudeur, notion dont elle ne peut même pas avoir conscience. Il est donc dans sa nature de s'exposer sans aucune vergogne au grand jour. L'âge ingrat caractèrise effectivement la lutte en l'être entre ce principe primordial et l'instinct de survie enfin réactivé en lui. Lutte perdue d'avance, bien entendu...

Quant à l'amour, c'est indéniablement une technique d'aikido particulièrement redoutable lorsqu'il s'agit de transformer la peur en adhésion. Botte secrète imparable!

Template Designed by Douglas Bowman - Updated to Beta by: Blogger Team
Modified for 3-Column Layout by Hoctro