9.07.2007

La survie de Drieu (où l'auteur, sentant les conflits sociaux pointer le bout de leur nez, fait la grève des parenthèses)

Lecteur éventuel de ces pages trop délaissées par l'anarque le plus paresseux qui se puisse trouver à l'ouest d'Eden, je tiens à te faire partager, nonobstant ma flemme, une trouvaille de librairie aussi fraîche (rentrée littéraire oblige) qu'inédite sur laquelle je me suis rué aujourd'hui : le Drieu de l'argentine Victoria Ocampo édité par Bartillat.

Témoignage rare sur l'homme couvert de femmes - qu'évoquait il y a peu Lapinos dans son blog - rendu par "la plus belle vache de la pampa", Drieu dixit, qui fut sa complice intellectuelle et muse intérimaire pendant quinze ans. Un document qui permet, si c'était nécessaire, d'offrir une rédemption définitive à celui que certains esprits bas de plafond rangent encore avec une rapidité qui confine à l'indigence réflexe dans la catégorie rédhibitoire des vilains fascistes (mais procèdent-ils jamais autrement?). Nabe a cent fois raison sur ce point : tout homme un peu lucide ne peut qu'admettre que Drieu n'est vraiment pas à la hauteur de la basse réputation de félon qu'on lui a taillée, très loin de la fière salauderie de Rebatet ou Brasillach. Ce costume pouvait d'ailleurs si peu lui convenir qu'il préféra s'y soustraire d'une balle dans la tête lorsque l'ignoble "comité d'épuration" des écrivains décida qu'il était l'heure pour lui de l'endosser. Il n'était qu'un romantique éperdu, feu follet presque femmelin et un rien geignard, quêtant infatiguablement mais en vain l'Espoir partout où il croyait pouvoir le saisir. Après le nazisme, ce furent les Vedas - dans un cas comme dans l'autre, il n'échappait pas à la férule de la svastika! Et de tout temps, les femmes, comme une fuite.

Mais Victoria Ocampo n'était pas une amante comme les autres, pas une de ses conquêtes méprisables habituelles. Un esprit lettré au "génie cordial", écrivain, traductrice de Camus et Faulkner en espagnol et fondatrice de la revue SUR. Une femme enfin avec laquelle la soif sexuelle était moins importante que l'émulation intellectuelle qu'il pouvait trouver dans leurs discussions, par-delà de constantes divergences de vue politiques, au point de lui confier par écrit : "Mon amie, chérie, laisse-moi t'aimer avec mon coeur qui est moins fou que mon cul". Le récit des orageuses relations sentimentales puis amicales qu'elle entretint avec lui vaut le détour pour qui s'intéresse à un Drieu la Rochelle intime. A ce titre sont d'ailleurs recueillies en fin de volume quelques-unes des lettres déroutantes, erratiques, passionnées et goguenardes qu'il ne cessa de lui faire parvenir au fil des ans. C'est l'histoire inachevée de deux âmes fébriles rassemblées par un même désarroi au coeur de la tempête , dans le nexus troublé de ce "temps déraisonnable" (1929-1945, deux dates tombales s'il en est).

Le Gilles de Watteau que l'ami Pierrot considérait comme son portrait

Histoire de faire d'un Pierre deux coups, et de donner peut-être envie à ceux qui ne l'auraient pas lu de se jeter séance tenante dans son oeuvre, je termine cette petite bafouille par un extrait brillant de la préface que Drieu signa pour la réédition non-censurée de son Gilles, et où éclate à nouveau la réalité de cette lutte nonchalante finalement perdue qu'il ne cessa de mener, sa vie durant, contre le Doute.

"Je crois que mes romans sont des romans; les critiques croient que mes romans sont des essais déguisés ou des mémoires gâtés par l'effort de fabulation. Qui a raison? Les critiques ou l'auteur?

Le saura-t-on jamais? Quelle pierre de touche détient-on? Attendons la postérité? (...)

Il faut beaucoup d'audace pour songer qu'on passera à la postérité. Cette audace, la nourrissent dans leurs coeurs bien des timides. Ceux qui ont eu un succès retentissant pensent que ce succès continuera. Ceux qui en ont eu moins se rassurent en pensant à Stendhal ou à Baudelaire. Toutefois, ceux-ci de leur vivant étaient fort connus et respectés au moins d'une petite élite. Car il n'y a pas de génies méconnus.

Un écrivain est obligé de croire dans le fond de son coeur qu'il passera à la postérité, sinon l'encre se tarirait dans ses veines. Et, sauf chez les médiocres, cela est touchant. Nous sommes bien une centaine en ce moment à ne pouvoir arracher de notre coeur cette pensée séduisante comme tous les buts du courage. Il faut cet élan des appelés pour épauler les élus.

Je m'écrierais volontiers que je suis sûr que, par exemple, Montherlant passera à la postérité et que je n'y passerai pas. Mais j'avoue aussitôt après que je doute par moments d'être si certainement condamné."

Rassure-toi, Drieu, la question semble maintenant tranchée. On t'a ressorti de l'enfer! Gilles est à nouveau édité.

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