5.23.2007

Dans le mille! (où l'auteur rend hommage à un vrai visionnaire)

Parmi les auteurs visionnaires français, la tradition veut que l'on pioche toujours le même exemple, Jules Verne, en poussant des cris d'admiration. Si ça n'est pas tout à fait faux, ça n'en est pas moins lassant. Car nombres d'auteurs, sur bien des plans autres que purement scientifique, furent au moins aussi visionnaires que le père du capitaine Némo. Jugez plutôt avec ce passage prophétique des Illusions perdues de Balzac, dont j'achève à peine la lecture. La scène met un groupe de porte-plumes parisiens aux prises avec l'ambassadeur qui est leur invité :

- Je ne soupe jamais sans effroi avec des journalistes français, dit le diplomate allemand (...). Il y a un mot de Blutcher que vous êtes chargés de réaliser.
- Quel mot? dit Nathan.
- Quand Blutcher arriva sur les hauteurs de Montmartre avec Saacken, en 1814, pardonnez-moi, messieurs, de vous reporter à ce jour fatal pour vous, Saacken, qui était un brutal, dit : Nous allons donc brûler Paris! - Gardez-vous en bien, la France ne mourra que de
ça! répondit Blutcher en montrant ce grand chancre qu'ils voyaient étendu à leurs pieds, ardent et fumeux, dans la vallée de la Seine. Je bénis Dieu de ce qu'il n'y a pas de journaux dans mon pays, reprit le ministre après une pause. Je ne suis pas encore remis de l'effroi que m'a causé ce petit bonhomme coiffé de papier, qui, à dix ans, possède la raison d'un vieux diplomate.



Quoi de plus juste? Je ne sais si le mot prêté à Blutcher est exact, mais ce que Balzac fait dire à son personnage est d'une implacable lucidité. De nos jours, certes, tous les pays sont dotés de leur propre presse, et dans bien des cas elles sont plus abjectes encore que la nôtre. Mais la presse française restera toujours une des plus maléfiques, par ce simple fait qu'elle se gargarisera toujours, quelle que soit sa nature, d'être la voix officielle de la liberté d'expression, l'étendard fièrement brandi des droits de l'homme et du citoyen, la tradition républicaine incarnée. Or qu'est devenue la presse française? Qu'a-t-elle fait, ces dernières décennies, cette insolente fille de la Révolution? En dehors de quelques salutaires fanzines ou éphémères journaux et magazines alternatifs, vite étouffés ou vite rachetés, la presse française est morte avec la 3ème république. Bien sûr, elle n'était ni plus libre ni plus innocente à cette époque, mais du moins lui restait-il encore une once de vergogne, qui permît quelques fois de laisser s'exprimer dignement l'intelligence et la liberté. Mais depuis Vichy, elle n'est plus qu'un pitoyable commensale, mangeant à tous les râteliers et criant d'autant plus fort sa nature de phare de la civilisation qu'elle se sait déshumanisée, enchaînée, souillée et vendue à toutes les bassesses. Qu'a réalisé la presse de ce pays depuis plus de soixante ans? Qui a-t-elle servi?

D'abord ce fut ceci :



Puis, dans un autre registre, pas moins collabo, ce fut ça :



Et enfin, grâce lui soit rendue, elle nous a offert ceci :



Elle a beaucoup servi, comme on dit aussi de certaines filles de joie, mais certainement pas les citoyens qu'elle prétendait instruire. Dans ce désastre, tous les organes historiques de presse sont peu ou prou impliqués, mais il n'y a guère d'exemple aussi frappant, édifiant et pathétique de la nature corruptrice de la presse que celui de Libération, quotidien fondé courageusement sur les bases les plus utopistes, mais ayant perdu au fil des ans toujours plus de lecteurs à chaque retournement de veste, s'étant caricaturé jusqu'au ridicule et ne survivant désormais que sous perfusion du Grand Capital pour mieux cracher dans la soupe libérale, en bon rebelle subventionné, au lieu de crever de la sale mort qu'il mérite pour s'être ainsi vendu en se moquant du peuple qu'il devait informer! Triste symbole d'une corporation imbue de sa propre grandeur mais toujours moins honorable.

La girouette germano-pratine, une espèce en voie d'extinction protégée par la WWF


Dans le roman de Balzac, un des plumitifs de la tablée conclut de cette manière après d'âpres échanges le débat engagé par le diplomate :

Le Journal au lieu d'être un sacerdoce est devenu un moyen pour tous les partis; de moyen, il s'est fait commerce; et comme tous les commerces, il est sans foi ni loi. (...) Un journal n'est plus fait pour éclairer, mais pour flatter les opinions. Ainsi, tous les journaux seront dans un temps donné, lâches, hypocrites, infâmes, menteurs, assassins; ils tueront les idées, les systèmes, les hommes, et fleuriront par cela même. (...) le mal sera fait sans que personne en soit coupable (...). Napoléon a donné la raison de ce phénomène moral ou immoral, comme il vous plaira, dans un mot sublime, que lui ont dicté ses études sur la Convention : Les crimes collectifs n'engagent personne.

Sentence d'autant plus horrible qu'elle est vraie, non seulement de la presse, mais aussi de ce que celle-ci a fait du suffrage universel... Quand donc ce cauchemar prendra-t-il fin? Assez vite, il faut l'espérer, tant se multiplient partout les signes avant-coureurs du grand chambardement. Les hommes n'auront bientôt plus besoin de cette caste de sycophantes qui se nomment journalistes: une autre structure va naître, qui entraînera pour toujours cette engeance turpide dans les oubliettes de l'Histoire. Entre-temps, le Journal aura amené au bord du gouffre l'une des nations parmi les plus spirituelles et les plus libres qui furent jamais. Balzac avait tapé dans le mille : chapeau l'artiste!

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