Quoi donc? Le cadavre de la littérature française, bien sûr! (non, je vous rassure, je ne vais pas me la jouer Stalker, lequel aurait d'ailleurs plutôt du intituler son blog Enculage des mouches du cadavre de la littérature). En effet, mes biens chers frères, l’espoir est permis, car j'ai cru remarquer sur ledit macchabée quelques convulsions post-mortem assez fascinantes. Dans le genre, mes deux dernières lectures de romans français contemporains m'ont un peu remonté le moral quant à l'avenir des lettres dans notre bô pays. Deux romans drôles, intelligents et faciles à lire, ce qui nous change pas mal du tout venant diarrhéique dont les dames patronnesses et les damoiseaux evanescents de Saint-Germain-des-Prés encombrent nos étals!


Givrée nous raconte les aventures de Marie, jeune et belle toulousaine esseulée qui va se retrouver embarquée dans une drôle d'histoire de frigos surnuméraires, prétexte à une peinture cocasse de la société de consommation et des maux absurdes de la mondialisation. Peu à peu, ce premier récit bien mené cède la place à des sujets plus intimes, comme la vie sentimentale de Marie, revenue de tout et désireuse de ne jamais s'établir avec un homme. Cette petite femme blasée et cynique constitue donc l'étonnant centre de gravité d'une galerie de personnages grotesques ou attachants, d'une histoire proprement sans queue ni tête mais narrée avec un tel talent qu'on ne peut s'empêcher de la faire se dérouler jusqu'au bout. Il n'y a rien de bien sérieux dans tout ça : Givrée n'est pas un chef d'oeuvre, mais ce n'était sans doute pas le but de Monnier que d'en faire un. Ce roman anecdotique n'est qu'un support offert à son style, une écriture qui ressemble à du free jazz écrit, libre de toutes contraintes (même diégétiques) mais toujours posée juste et malicieuse. Avec l'air de ne pas y toucher sérieusement, Monnier appuie gentiment là où ça gratte, démontrant au passage les conséquences irréversibles des métamorphoses de la vie sociale (macrocosme) sur la vie intime des êtres (microcosme). L'élégance de l'auteur est toute entière dans la désinvolture et la goguenardise de cette charge politique en sourdine qui ne parasite jamais l'humour et la légèreté du récit. Ne serait-ce que pour cette leçon de style et de vie, la lecture du roman vaut le détour.

Sur le modèle classique mais toujours imparable des Lettres persanes, Pliskin se glisse habilement dans la peau de son anti-héros pour faire passer sa critique en règle de la société contemporaine : une France coupée en deux, où les humbles souffrent en silence ou se font instrumentalisés tandis que les nantis jouent aux rebelles à l’abri de la réalité. La confrontation orchestrée entre Mohammed, candide loser autoproclamé aux accents houellebecquiens et son maître à penser Bridau, caricature impitoyable de l’intellectuel gauche caviar inspirée par les modèles (hélas) réels de Bourdieu, Sollers et Derrida permet à l’auteur de jouer sur l’ironie de la situation sans jamais avoir besoin de recourir à l’indignation ou l’accusation directe. C’est le naïf Mohammed qui démonte tout seul, par ses amères désillusions, le discours idéologique savamment confus mais jamais remis en cause de ce Tartuffe modern style en le côtoyant dans ses moments d’intimité. Quand la plume de Pliskin mord bien, on pense à Jules Renard et notamment à L’écornifleur, référence évidente lors des vacances de nos protagonistes à l’île d’Yeu. C’est drôle, libre, étonnant et pour la peine on passe assez volontiers sur les quelques défauts qui gâchent un peu ce récit : un style en dents de scie qui peut glisser vers la facilité et certaines embardées narratives peu crédibles qui si elles ne déparent jamais vraiment dans une satire dynamitent malgré tout l’impression de réalisme construite en amont par l’auteur. Mais L'agent dormant est déjà un très bon travail : encore un effort et si Fabrice Pliskin ne se dégonfle pas comme bon nombre de baudruches hexagonales on pourrait tenir là un Palahniuk français! A lire pour rire, un méchant rictus aux lèvres !
Pour donner le ton, et comme je suis pas chien je vous en livre un extrait :
Après le déjeuner, Bridau, comme d’habitude, disparaît dans la chambre d’ami, avec un volume en allemand de Hegel ou de Heidegger. Il a besoin de s’enfermer quelques heures pour renouer le dialogue avec ses vieux maîtres – « dialogue orageux, sans répit et sans complaisance ».
Il est interdit de déranger mon professeur dans ces moments d’étude et de méditation.
Je viens coller mon œil contre la serrure de la porte de la chambre d’ami. J’aperçois le philosophe. En réalité, il ne lit pas Hegel. Il regarde, le son très bas, le Tour de France à la télévision, tout en mâchant des caramels.
2 commentaires:
Tu as décidement trop de style pour te permettre de donner dans la critique littéraire. Mefie toi, tu n'es pas à l'abris d'en faire ta profession, tu connais comme moi le fourbe appel du chèque de fin de mois.
Il faut bien manger... D'autant plus que si tu continues à me flatter vilement comme ça, je vais finir par en lâcher mon fromage! Fais attention, tu sais bien que j'ai les chevilles fragiles... De toute façon, style ou pas style, je suis un piètre critique.
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