5.28.2007

We don't need no education (où l'auteur transmet la bonne parole)

Réaction *intelligente* d'un professeur à l'intiative démagogique de Nicolas Sarkozy instaurant la lecture obligatoire de la lettre d'adieu de Guy Môquet aux élèves de France. Réaction publiée par le Figaro mais trouvée sur le blog de paratext

Par Michel Ségal, Professeur de collège en ZEP

"Je suis enseignant de collège et je ne lirai pas la lettre de Guy Môquet à mes élèves.

Je ne leur lirai pas parce qu'ils seraient bien incapables d'en comprendre le sens profond, et même d'en comprendre les mots qui la composent ; parce que notre école demande aux enfants de réinventer eux-mêmes les règles d'écriture ou de syntaxe. Je ne la lirai pas parce que depuis une trentaine d'années, l'école leur apprend le mépris du patrimoine et la méfiance du passé. Je ne la lirai pas parce que cette lettre me fait honte, honte de la maturité d'un adolescent il y a plus de soixante ans face à l'infantilisation construite par notre école de ceux du même âge aujourd'hui. Je ne la lirai pas parce que nos enfants ignorent les événements auxquels elle se réfère ; parce que notre école préfère par exemple demander à des enfants d'analyser des « documents » plutôt que de leur enseigner des dates et des événements. Je ne la lirai pas parce qu'il y a longtemps que l'école refuse de transmettre aucun modèle ; parce que notre école n'envisage plus les textes d'auteurs comme des exemples mais comme des thèmes d'entraînement à la critique. Je ne la lirai pas tout simplement parce que notre école a délibérément détruit l'autorité qui pourrait permettre une lecture et une écoute attentives.

Je ne la lirai pas parce que, même âgés de 16 ans, mes élèves ne sont que de petits enfants bien incapables d'appréhender son contenu et resteront sans doute ainsi toute leur vie : ainsi en a décidé notre école. Peut-être ne me croyez-vous pas car l'école que connaissent vos enfants ne ressemble en rien à celle que j'évoque ? En effet, j'ai peut-être oublié de vous préciser l'essentiel : je travaille dans une ZEP, c'est-à-dire là où peuvent être appliquées à la lettre et sans risque de plainte toutes les directives ministérielles, là où se préfigurent l'horreur et la misère du monde construit par notre école.

Non, Monsieur le Président, je ne lirai pas la lettre de Guy Môquet tant que n'auront pas été engagées les réformes structurelles du ministère de l'Éducation nationale qui mettront fin à la démence toute puissante des instances coupables des mesures les plus destructrices de tout espoir de justice sociale, tant que n'auront pas été engagées les réformes pour que l'école cesse de conforter les enfants dans leur nature d'enfants, pour que l'école accepte enfin de remplir sa seule mission : instruire."

Message à faire circuler séance tenante, pour qu'enfin le constat que tous savent mais taisent devienne une audible et inévitable vérité. A rapprocher des témoignages et indignations salutaires de tant d'enseignants (le moustachu rigolo Brighelli n'est que le plus connu de tous). Rien ne vaut l'édifiant exemple de Laurent Lafforgue, médaille Fields 2002, membre de l'Académie des Sciences et professeur à l'IHES, pour prendre conscience du travail monumental à mener au sein de l'Ed.Nat. et réaliser à quel point ce nécessaire sursaut est entravé de toutes les façons possibles par la mafia pédagogiste qui parasite le système avec ses IUFM (surnom sybillin des Camps de Rééducation Professorale) et son parrain inamovible, le Pol Pot gentillet de l'école républicaine, l'ignominieux Philippe Meirieu. L'histoire de la démission de Lafforgue du HCE et ses textes sur l'école sont sans appel pour qui sait lire.

Nombreux sont aussi les écrivains français ayant enseigné au sein des collèges et lycées "difficiles" - euphémisme, quand tu nous tiens - à rendre compte, d'une manière ou d'une autre, de leur dégoût ou leur découragement. Richard Millet (dans Lauve le pur et Le sentiment de la langue) et Pierre Jourde (dans son terrible Festins secrets), deux de nos plus brillants stylistes, ne sont pas les moindres. Bien sûr, il y a toujours des idiots utiles, du type de l'arriviste François Bégaudeau, pour affirmer encore qu'enseigner en ZEP, c'est fantastique. Sa récompense suite à cet infâme mensonge intitulé Entre les murs ne s'est pas faite attendre, puisqu'outre nombre de distinctions littéraires en chocolat, il a désormais obtenu une place de chroniqueur radio (chez l'inénarrable Pascale Clarke) et télé (dans une émission de haute volée : la Matinale de Canal +, animée par Bruce Toussaint, ce puits de culture). La vérité ou la carrière, il faut savoir choisir. Avis aux hommes de bonne volonté...

3 commentaires:

Unknown a dit…

François Bégaudeau travaille chez Nicolas Poincaré à la radio.
Il écrit aussi dans le Monde de l'éducation et dans les cahiers du cinéma.

TheNightWatch a dit…

Merci, chère Mary pour ces précisions. Il est vrai que j'ai quelques lacunes concernant le curriculum de ce monsieur!

Artémise a dit…

quel texte! merci de le publier... à diffuser sans modération.

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