3.27.2007

Gott der Untermenschen (où l'auteur, soudainement, tombe le masque)

Rendons à César ce qui est à César, ou plutôt à Gottfried ce qui appartient à Helnwein. Eh oui, le magnifique avatar derrière lequel je cache comme un pleutre ma face veule et fallote de bloggeur anonyme n'est autre qu'un auto-portrait du délirant artiste austro-irlandais Gottfried Helnwein intutilé Night in Shangri-La I.

Le Maître en 2004

Vous me direz sans doute : "ton Gottfried Helnwein a l'air d'un vieux soixante-huitard désabusé et froissé". Et je vous répondrai : normal, puisque c'en est un! Il naquit en 1948 à Vienne, capitale culturelle s'il en est, ce qui faisait de lui une proie particulièrement facile, 20 ans plus tard, pour les idées progressistes, la révolution sexuelle et toutes ces insouciantes conneries au patchouli. D'autant plus que le jeune homme suivit à la fin des anneés 60 une formation à l'université d'Art Visuel de Vienne, d'où il ressortit tout de même avec un prestigieux prix. La pente était fatale : il devait devenir un artiste azimuté. Fidèle au précepte socratique d'un fameux philosophe teuton à moustaches, il devint donc ce qu'il était, ce qui est toujours plus facile à dire qu'à faire. Mais Gottfried n'était pas du genre à faire du macramé ou à peindre des grosses fleurs dégueus sur des vans Volkswagen! Non, lui son trip du moment, c'était plutôt les peintures hyper-réalistes représentant des enfants mutilés. Chacun son truc, hein...

Toile sobrement intitulée "Petite correction" (1971)


Alors bien sûr, en voyant ce genre d'oeuvre, on ne peut pas s'empêcher de penser que Herr Helnwein a sans doute passé sa vie d'adulte à engraisser toute la psychiatrie autrichienne (la vraie, quoi). Que nenni, petits naïfs que vous êtes, car celui qui s'auto-proclama Gott der Untermenschen (dieu des sous-hommes, pour nos lecteurs germanophobes primaires) a trouvé bien mieux pour atteindre la quiétude spirituelle! Depuis 1978, il fait partie de l'Eglise de Scientologie (nul n'est parfait) et a même participé activement au programme Narconon et aux "services spéciaux" de la secte... Ce qui ne l'a pas empêché, depuis une trentaine d'années, de s'épanouir artistiquement, au contact de grands noms comme William S. Burroughs ou Tomi Ungerer, admirateurs de son oeuvre. Et le sous-homme est aussi insaisissable dans son art que dans ses curieux auto-portraits, où il apparaît toujours peinturluré (nostalgie pour le body art hippie?), mutilé, bandé, masqué, grimaçant, ricanant, hurlant, bref, méconnaissable.

"Black mirror V", tiré de la série d'auto-portraits du même nom (1987)

Ses oeuvres vont du classicisme le plus pur (de grands paysages panoramiques hyper-réalistes) aux installations et performances post-modernes les plus douteuses, de la peinture à la photo en passant par la vidéo et le numérique, mais elles travaillent toujours les mêmes matériaux de base : art sacré, pop art, et culture européenne, avec adjonction d'obsessions personnelles comme la difformité, Disney ou le IIIème Reich. Aujourd'hui, après avoir vécu à Vienne, puis dans un château de Cologne aux bords du Rhin et à Los Angeles, Gottfried le pince-sans-rire coule des jours heureux de citoyen irlandais dans son château de Kilsheelan avec sa femme Renate et leurs quatre enfants (dont Wolfgang Amadeus Helnwein, si si juré). Accessoirement, ils sont tous artistes, et plus accessoirement encore, je referais bien la carrosserie de sa fille Mercedes! (excusez-moi, j'ai un faible pour les rouquines et les jeux de mots)

Dans la famille Helnwein, je demande la fille. Je demande sa main, même.

Désormais, le châtelain organise de petites sauteries du plus grand chic, comme notamment en décembre 2005 lorsqu'il fit procédér en ses modestes pénates à l'union de son ami Marilyn Manson avec la srip-teaseuse Dita von Teese, sous l'oeil électrique d'Alejandro Jodorowsky et en compagnie de gens tout aussi siphonnés, comme l'ineffable David Lynch. Eh oui, il est comme ça, Gottfried, il a plein d'amis connus, comme Sean Penn et Arnold Schwartznegger (solidarité autrichienne?), acquéreurs réguliers de ses oeuvres! Bon, c'était ma minute Stéphane Bern, pardonnez-moi, j'ai pas pu m'en empêcher. Bref, pour conclure, on peut dire que s'il a quelques défauts, Herr Helnwein n'en est pas moins un putain de bon artiste n'usurpant pas pour un sou son statut de rock 'n' roll star! Comme le dit Robert Crumb himself : "Helnwein is a very fine artist and one sick motherfucker." Jugez par vous-même.

Self-portrait (1984)


Night IV - Man Without a Face (1991)


Expulsion from Paradise (1985)


Dark Hour (2003)


Kiss of Judas II (1985)


Night in Shangri-La II (1987)


Temptation (1985)


Madonna I (1996)


Epiphany I - Adoration of the Magi (2003)


Evidemment, toutes ces images sont la propriété intellectuelle de leur auteur, copyright reserved, etc. Si vous voulez tout voir et savoir du Maître, une seul adresse, exhaustive au possible : http://www.helnwein.com/

3.26.2007

Grosse flemme (où l'auteur inaugure courageusement une nouvelle rubrique)

Ah oui, vraiment là, lundi oblige j'ai pas du tout envie de faire fonctionner mes petites cellules grises pour pondre quoi que ce soit! Je vais donc me contenter de jouer les passeurs, faisant fi de toutes les lois sur le copyright (wesh, chuis un outlaw!), et ouvrir cette rubrique de citations avec quelles pensées définitives du Maître Anarque, le grand Ernst Jünger.




- sur la peur qu'inspire la lucidité : "La vision anticipée de la catastrophe est plus effrayante que les terreurs réelles du monde en feu. Cette audace n'est donnée qu'aux esprits les plus hardis, les plus robustes, ceux qui sont à la mesure des dimensions de l'événement, sinon de son poids. Succomber de la sorte, tel fut le destin de Nietzsche, qu'il est de bon ton, aujourd'hui, de lapider. Le tremblement de terre passé, on s'en prend aux sismographes. On ne peut pourtant pas faire expier les typhons aux baromètres, si l'on tient à se distinguer des primitifs."
Jardins et routes, 1939-1940.

- sur les "artistes engagés" : "Les borgnes se présentent de prime abord en leur qualité de demi-hommes. Sont "de droite" ou "de gauche". Et sondent aussi leurs partenaires, pour savoir s'il est de la même demi-humanité qu'eux : c'est alors seulement qu'ils se sentent bien en sa compagnie. Quant à l'oeuvre d'art, ils n'en perçoivent pas l'ensemble, mais les défauts, se font connaître non en tant qu'individus, mais en tant que cliques vouées aux acclamations réciproques. Quand le système change, aiment à se recommander au nouveau maître en qualité de sycophantes ou de laquais. Faibles, quant à l'art, mais forts quant aux magouilles à prétexte esthétique."
L'auteur et l'écriture.

- sur les différents nihilismes : "En voyant certains extrémistes, on a l'impression qu'ils sont étrangers aux réalités, quelles qu'elles soient - et, bien entendu, en première ligne, à celle du père. Si leurs idées avaient fait fureur trente ans plus tôt, les pères eussent déjà été liquidés, en sacrifice à ces idées, et, par conséquent, leurs fils n'existeraient pas - c'est de ce soupçon que provient le sentiment, en de telles rencontres, de parler à des zéros."
L'auteur et l'écriture, toujours.

- sur les censeurs moralistes et autres chercheurs de poux idéologiques* : "On les voit chercher l'inhumain, avec des lanternes. Ce qui les éclaire, c'est la phosphorescence de leur nature caïnite."
Idem.

Ce sera tout pour aujourd'hui, mais c'est déjà bien assez : "Food for thoughts", comme on dit là-bas.

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* : Comme le ridicule universitaire Michel Vanoosthuyse, minable procureur d'un procès en fascisme contre le plus libre des écrivains et qui n'est au fond rien d'autre qu'un pitre de plus à n'avoir rien compris à la pensée de Jünger. A croire qu'on offre des chaires même aux plus profonds déficients mentaux, dans l'université française!

3.20.2007

Bataille des Thermopyles, deuxième !

Jamais le contraste n’avait été aussi cocasse. Passez devant l’entrée d’un cinéma, demain, et arrêtez-vous deux secondes pour méditer devant ces affiches… Paris et Hollywood sortent le même jour leur dernier poids lourd ! 300 contre Ensemble, c’est tout. Attention, duel au sommet, choc des Titans, suspense intégral ! Le roi Léonidas versus Amélie Poulain ! Mais qui va gagner ?! Moi je parie mes DVDs qu’Amélie est chocolat et que Guillaume va canner ! Les Spartiates ont pas seulement massacré les Perses, ils reviennent pour se payer les Français ! Ce serait drôle si ce n’était pas si honteux. Résumons-nous.

A ma gauche, Claude Berri, dit "le Parrain IV", grand manitou du cinéma français depuis deux décennies. C’est simple, quand un film français coûte plus de trois sous et qu’il n’est pas produit par l’inénarrable Besson ou le CNC, c’est que Berri père ou Langmann fils est dans le coup. L’impuissant dépressif le plus célèbre de l’Hexagone, qui n’a pas eu la bonne idée d’en finir comme Hemingway, nous sort donc de son sac à vomi malices une adaptation bien intimiste comme il faut du petit phénomène littéraire d’il y a deux automnes, Ensemble, c’est tout, roman franchouille de la bonne élève Anna Gavalda. Cerise confite sur le gâteau gâteux, il convoque pour la peine les deux vieux jeunes les plus bankables de ces dernières années, nos vedettes américaines à nous : Audrey "Da Vinci" Tautou et Guillaume "La plage" Canet. Finalement, la seule vraie surprise, c’est encore que Berléand ne soit pas quelque part au générique !

A ma droite, Zach Snyder, jeune réalisateur arrivé au culot, par la force du poignet et la justesse du coup d’œil, en rajeunissant avec talent dans L’armée des morts un classique du cinéma d’horreur. Bref, un réalisateur, quoi. Mais lui n’adapte pas un beau roman français moderne, l’inculte ! Non, il se rabat sur une "bédé"* ! Ah l’infâme, préférer Frank Miller à Anna Gavalda ! En plus, il a le mauvais goût de prendre le risque d’apprendre quelque chose aux spectateurs en retraitant audacieusement un des premiers mythes historiques, vieux de 2487 ans : la furieuse bataille des Thermopyles où l’inégalable armée de Sparte se sacrifia pour faire fondre sévèrement les contingents du roi perse Xerxès. Les mauvaises langues diront sans doute que Bush a commandé ce film de propagande pour taquiner Ahmadinejad… Qu’importe, il suffit de voir une bande-annonce pour faire taire les sarcasmes : c’est du péplum, oui, et du Cecil B. Troismille, au bas mot ! D'accord, c’est m’as-tu-vu, c’est outrancier, le sang gicle au ralenti et Xerxès s'habille chez Voldo, mais voilà, c'est visuellement fantastique et ça a au moins le mérite d’oser. D'ailleurs ça ose tellement que pour jouer ses fantômes guerriers, Snyder choisit non pas Pitt ou Clooney, mais des acteurs méconnus au niveau international, comme l'excellent Gerard Butler.

Donc tandis qu’un cinéma français débile de consanguinité n’en finit pas de crever d’entretenir son inanité, son sale vernis hypocrite de pseudo-culture , et adapte mollement des romans contemporains bien intentionnés écrits avec les pieds**, Hollywood se paie une nouvelle jeunesse, aussi putassière et caricaturale soit-elle, en osant confier des sommes monstrueuses à un jeune réalisateur imaginatif qui redonne en l’espace de deux heures une visibilité populaire et un attrait "djeuns" à une légende qui a déjà traversé les temps et toute la culture occidentale, depuis Hérodote jusqu’à Frank Miller en passant par Byron. Que le meilleur gagne !

Un duel haletant en perspective


Bien sûr, on peut d’avance pronostiquer le résultat : toute la France (surtout mâle) de moins de 40 ans va se ruer, moi compris, pour aller voir le film américain, pendant que les sièges seront laissés libres pour les petits bobos et les vieux dans les salles diffusant le film national. C’est ça, la belle exception française ! Maintenant, posez-vous cette simple question : où se trouvent les gens qui devront construire le futur de la belle cultureuh françouèse : devant l’écran passant 300 ou celui passant Ensemble c’est tout ? Moi je ne demande pas mieux que de défendre le cinéma français ! Mais faudrait quand même avant ça qu’il arrête de se tirer des balles dans le pied… Et qu’il renaisse en s’appuyant sur ce qu’il fut, et non sur son cadavre empaillé. Fait révélateur : l’acteur principal de 300, Gerard Butler, tourne en ce moment dans une adaptation de Thérèse Raquin faite par… des anglo-saxons. Alors je demande, au cas où : il est où, notre nouveau Marcel Carné ?

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* Les anglo-saxons font eux la distinction entre « comics », soit le tout-venant de la bande dessinée et « graphic novel » dans le cas qui nous occupe, soit roman graphique, terme usité pour les productions plus ambitieuses artistiquement et généralement destinées à un public adulte.

** Gide avait définitivement vu juste : c’est avec de beaux sentiments qu’on fait de la mauvaise littérature. Heureusement pour lui, il est mort en 49 avant Et si c'était vrai.

3.13.2007

Manuels de survie II (où l'auteur tente de vous sauver les miches)

Y a des jours comme ça où il suffit d'ouvrir une petite page web pour voir sa journée foutue en l'air. Oui, ça m'est arrivé, braves gens, et je vous prie de croire que c'est tout à fait le genre d'expérience sympathique que je crève d'envie de partager avec vous! Allez, allez, laisse-toi tenter, clique donc ici, lecteur chéri! En lisant ça on se dit d'abord, en rigolant l'air goguenard, que Michel Drac nous la joue Cassandre mâtiné de Dantec. Mais j'ai beau être un gars bouffi d'espérance, quelque chose me dit que ses visions ne sont pas si catastrophistes qu'elles en ont l'air. Faites silence et tendez l'oreille, attentivement : n'entendez-vous pas monter une musique inquiétante, puant la poudre et le sang? Une mélodie familière, rouge et noire, quelque part entre la carmagnolle et les tambours de guerre...




L'entraînant prélude au sale siècle qui nous attend avait déjà des timbres lugubres lorsque CNN nous repassait en boucle les images de ces deux chandelles de fer, soufflées pour fêter en fanfare l'adieu au deuxième millénaire... Et ce n'était rien, absolument rien, en comparaison de ce qui nous attend d'ici quelques années! Non pas une "guerre de civilisations", là n'est pas le problème. Ce qui s'annonce, c'est la guerre absolue, la vraie guerre de tous contre tous, et avec toutes les armes possibles. Clausewitz, avec sa guerre totale, peut bien se brosser, ou aller prendre des cours de rattrapage en Tchétchénie ou au Darfour!

L'heure du chacun-pour-sa-gueule final arrive, et vous serez étonnés par ce que votre voisin pourrait être capable de faire pour vous survivre. On vous prépare un joli Koh Lanta urbain grandeur nature, où le beau mythe du "vivre ensemble" va en prendre un petit coup. Alors soyez prêts! Serrez les miches, creusez votre bunker et stockez des pois chiches! Enfin, éventuellement, mettez-vous à bouquiner tranquille, grenades et masque à gaz à portée de mains, quelques ouvrages qui risquent d'être en rupture de stock un de ces quatre matins : ceux de Chaliand, Maniquet et Nyerges seront sans doute dans le lot. Bien sûr, il y a aussi certains classiques qu'on ne présente plus!

Ne me dites pas merci, c'est tout naturel. Faites de beaux rêves, promis la prochaine fois j'arrête de vous faire peur et je parle de littérature. Mais n'oubliez pas une chose : les paranoïaques ont toujours raison.

3.08.2007

Manuels de survie (où l'auteur oeuvre pour les néo-luddites)

Jean Baudrillard n'est plus. Juste un an après la mort de Philippe Muray, la noble troupe des dissidents se clairesème encore... On dirait bien que le printemps ne leur réussit pas, aux "mécontemporains"! Heureusement, il reste quelques vivants dans le rang des libre-penseurs mal-pensants. Même s'il a fait voeu de silence et définitivement rangé sa plume, Jean-Claude Michéa n'est pas l'un des moindres!

Ce très humble professeur de philosophie de Montpellier resté dans l'ombre par choix, est un fervent disciple de George Orwell (bon romancier mais surtout essayiste de génie) et Christopher Lasch (Le seul et vrai Paradis, La culture du narcissisme) . C'est dire si sa philosophie politique radicale va à contre-courant de la doxa! Comme ses deux maîtres, Michéa prône le retour à un socialisme véritable ayant réhabilité le populisme et analyse avec une acuité sans merci toutes les conséquences malsaines de notre régime a-politique : l'économie libérale. Il n'est pas un auteur prolixe, loin s'en faut, mais chacun des opuscules qu'il a laissé échapper de son silence méditatif est une merveille de densité et de véhémence! Son credo : relayer la pensée de ses maîtres en l'éclairant de son style simple et concis et d'exemples concrets. Rien à dire : derrière le redoutable polémiste, on devine sans mal le pédagogue aguerri.

Alors que les Français se retrouvent démunis, en cette période électorale confuse, face aux choix politiques tous plus flous les uns que les autres qui leur sont offerts, et que nombreux sont ceux qui ne trouvant plus de repères politiques stables nulle part, ne savent pas encore à qui confier leur voix, les oeuvres de Jean-Claude Michéa s'apparentent à de véritables manuels de survie politique. Leur impitoyable grille d'analyse pourra offrir au citoyen indécis et curieux de nouvelles données pour bien comprendre et soupeser la portée de son vote dans le monde de 2007. A lire d'urgence donc :

- Impasse Adam Smith, Brèves remarques sur l'impossibilité de dépasser le capitalisme sur sa gauche
- L'enseignement de l'ignorance et ses conditions modernes
- Orwell, anarchiste tory

Maintenant vous ne pourrez plus dire que vous ne saviez pas!

P.S. : pour vous faire une juste idée des opinions de Michéa, jetez un coup d'oeil à l'entretien qu'il donna en 1999 à la Gazette de Montpellier.

3.06.2007

Typologie sommaire des lecteurs (où l’auteur révèle au monde ses penchants SM)

Commençons par une lapalissade, les choses les plus évidentes étant toujours bonnes à rappeler : une littérature ne vit que dans la mesure où elle possède des lecteurs et même, dans l’absolu, qu’en proportion de ce lectorat. C’est pourquoi, dans ma quête sacrée visant à tâter le pouls de la littérature française, vais-je prendre le problème à l’envers. Nan, parce que c’est bien joli de s’intéresser aux auteurs, mais au final, la littérature n’est faite que de lecteurs, l’écrivain n’étant qu'une catégorie minoritaire et particulièrement perverse du lectorat global.

Donc, pour savoir où en est la littérature française, posons-nous innocemment si vous le voulez bien (si vous voulez pas c’est pareil!) cette simple question : qui sont les lecteurs français ?

Si j’étais sociologue au CNRS ou menteur sondeur chez BVA, je vous dirais simplement que le Français est cet âne qui ne met chaque année pas plus d’argent dans l’achat de livres que dans celui de casseroles. Alors à moins que le Français statistique ne s’achète chaque année une batterie neuve de casseroles à plasma avec Dolby 5.1 de chez Bang & Olufsen, on dirait bien à vue de nez que le Français est un planqué qui n’est même pas foutu de se payer plus d’un livre grand format par an, dans le meilleur des cas (moi je n’achète que des casseroles Leader Price, la question est réglée). Mais je crois que je vais arrêter là avec les statistiques à deux centimes, les sondeurs n’ayant manifestement jamais appris à l’école cette règle élémentaire des mathématiques qui veut qu’on ne peut pas multiplier des carottes avec des patates (si si, souvenez-vous…). Contentons-nous alors de brosser un rapide panorama en divisant la masse globale des lecteurs en quelques types précis :

- le Français illettré : évidemment, il ne peut pas faire partie de la catégorie des lecteurs, mais il pèse dans la balance statistique, en répondant invariablement "zéro" au fumiste qui l’a dérangé par téléphone alors qu’il était tranquillement en train de regarder Attention à la marche !

- le lecteur des statistiques : oui, il existe bien ! Il n’achète qu’un livre ou deux par an, qu’il ou elle va lire en dormant l’été sur la plage après s’être mollement laissé convaincre par Guillaume Durand, PPDA ou Ruquier (rayez les mentions inutiles) - qu’elle ne pouvait pas continuer à vivre sans avoir lu Un grand cri d’amour de Marc Bidule (pour mesdames) ou - parce qu’il a eu un surprenant début de gaule (la fameuse "demi-molle") en tombant sur une interview de Bénédicte Martin, Lolita Pille, Claire Castillon ou Eliette Abécassis (dans le dernier cas, on recommandera amicalement au monsieur une consultation chez un sexologue). Parfois, le lecteur des statistiques est tellement rapiat qu’il n’achète même pas un livre par an et préfère attendre Noël, ce moment magique de l’année où Tata Yvette lui offrira le dernier prix Goncourt. On notera au passage qu’à l’automne dernier l’académie Goncourt a sciemment conspiré pour mettre Tata Yvette dans la merde, primo parce que Les bienveillantes se vendaient très bien avant le prix, et que Tata ne peut décemment pas prendre le risque d’offrir un doublon à son neveu chéri et secundo parce que le pavé de 900 pages écrit en chiures de mouche, ça fait quand même un peu encombrant dans le sac de plage! Heureusement pour Tata, il lui reste les recommandations de bon goût des autres corrompus jurys littéraires (avec une préférence pour le Flore, qui ne pèse jamais bien lourd, dans tous les sens du terme). Reste cette question inquiétante : que deviendrait le lecteur des statistiques si on mettait fin aux promo-copinages médiatiques et si Tata se mettait à lui offrir enfin des casseroles, hm ? Son auteur préféré : Cherchez dans les listes des meilleures ventes.

- le lecteur en quête de crédibilité : attention là on attaque le lourd! Celui-ci, bien sûr, achète plusieurs livres par an, et même plutôt en grand format (parce qu'il a de l'argent à dépenser), et quelque chose me dit que cette catégorie est majoritairement constituée de femmes actives (moi, misogyne?), de fils à papa mal peignés qui sirotent au Café de Flore ou de tapettes gentils homosexuels du Marais. Par commodité, et parce que je suis une feignasse, je n'en continuerai pas moins à l'appeler "il". Non mais. Il se force souvent à veiller tard pour ne pas rater l'émission de Durand (PPDA, c'est TF1, donc trop "populo", même si on y présente les mêmes livres...), voire fera l'effort de se lever tôt un dimanche matin pour regarder la 5ème ("aaaah, Isabelle Motro..."). De manière générale, il ne manquera pas non plus de feuilleter ostensiblement Le Monde des Livres à la cafèt' chaque vendredi que Dieu fait. Bref, on a compris, le lecteur en quête de crédibilité, abonné aux Inrocks quand ce n'est pas à Télérama, pense que Josyane Savigneau, Arnaud Viviant ou Sylvain Bourmeau ont toujours raison et ne cherche par la lecture qu'à redorer un peu son blason culturel et se payer du prestige à peu de frais afin d'avoir de quoi causer dans les dîners en ville. A noter au passage qu'on peut diviser géographiquement cette catégorie en deux : - les Parisiens, qu'on qualifiera de modèle hardcore du lecteur en quête de crédibilité, mais qu'on pardonne un peu, parce que bon, dans une grande ville toute pleine de belle culture comme ça, on s'intègre comme on peut, hein? - et les autres, provinciaux pathétiques qui ne rêvent que de devenir parisiens et n'ont quant à eux aucune excuse. D'où qu'il soit, ce lecteur n'est finalement qu'un toutou bien consciencieux qui lit là où on lui dit de lire, jamais ailleurs, et sa foi dans les prescriptions culturelles des critiques est sans borne. Malheureusement pour lui, ce qu'on lui vend comme de la littérature n'est généralement que de la merde, mais va-t-on vraiment le plaindre? Après tout, si on n'avait plus droit de traiter les cons comme ils le méritent, où irait le monde? Son auteur préféré : Christine Angot, bien sûr!

- le lecteur en quête de sensations : voilà la catégorie de lecteurs la plus sympathique qui soit! Tout l'opposée de la précédente, qui ne marche que sur l'apparence. Le lecteur en quête de sensations est généralement un gros acheteur, mais parce qu'il n'est ni riche ni prétentieux, il se borne souvent aux livres de poche, qui lui permettent, grâce aux économies faites sur les grands formats, d'acheter encore plus de livres. Il lui arrive même régulièrement de chiner dans les bacs d'occasion histoire de dégoter l'affaire du jour et de se faire une réserve de lectures hebdomadaire (au moins 3 romans) pour moins de 10 euros. On le retrouve beaucoup dans les rayons de ce que les critiques péteux d'avant appelaient "sous-littérature" : romans policiers, fantastiques, de science-fiction, d'aventure, à l'eau de rose... Oui, la mémé qui vient acheter ses deux Harlequins à Monoprix tous les matins en fait bien partie! Pour ce lecteur, la littérature n'est avant tout qu'une formidable machine à fictions, un grand puits à sensations, la question du style ou du "message" n'étant que très secondaire. Il recherche donc surtout le dépaysement dans la lecture (peut-on vraiment lui donner tort?) et c'est précisément pour cette raison qu'on le croisera souvent le nez dans son bouquin sur le quai de la gare, dans le bus ou le métro. Cette utilisation ingénieuse du livre lui permet alors de passer agréablement le temps en évitant d'avoir à regarder les sales gueules de ses congénères qui rentrent du travail, eux aussi, mais les mains vides (oh l'erreur!) ou avec Les Echos sous le bras (ah l'horreur!). Attention néanmoins de ne pas s'emmêler les pinceaux : dans les transports en commun, on trouve aussi parfois le lecteur de la catégorie précédente, mais tandis que celui-ci tient toujours son gros livre de sorte que l'on remarque bien qu'il lit des choses exigeantes avec un air pénétré, il est par contre impossible de réussir à voir la couverture du livre de poche trituré de notre lecteur boulimique (expérience personnelle) et c'est bien dommage! Son auteur préféré : il en a beaucoup, mais en général il ne fait jamais la couverture des Inrocks! N.B. : avec le temps, un peu de curiosité, et pas mal de persévérance, il est fort possible que le lecteur de cette catégorie glisse imperceptiblement dans la suivante, j'ai nommé...

- le lecteur en quête de Beau et de Vrai : Comme dit juste au-dessus, il est rare de nos jours que le lecteur de ce genre apparaisse par génération spontanée, à moins d'avoir eu lui-même de grands lecteurs dans sa proche famille (ou un prof passionnant) et d'avoir été privé de télé et de jeux vidéo toute son enfance. A l'exception de ce genre d'extra-terrestres provenant habituellement de la bourgeoisie à l'ancienne, il est donc un lecteur de la catégorie précédente ayant muté lentement. A un certain point de ses lectures, sans le vouloir et par le biais de "classiques" ou d'olnis (objets littéraires non-identifiés), il va se forger un goût critique autonome et commencer à faire sérieusement le tri avant d'ouvrir son porte-monnaie à la FNAC. Sa quête, c'est LE livre, celui qui va à la fois l'intéresser, le bouleverser et l'obliger à remettre en cause une partie de ce qu'il croyait jusqu'alors. Trouvant parfois la pitance un peu trop maigre dans le rayon des nouveautés, il est bien obligé de se rabattre sur les classiques, de quelque époque qu'ils soient. Il est curieux, et une lecture en entraînant une autre, il succombera à terme à une terrible maladie, incurable même par maraboutage : l'Insatisfactionnite Perpétuelle! Car plus il verra croître sa culture livresque, plus il réalisera combien elle est insignifiante... Lors de crises aiguës (souvent provoquées par la lecture vertigineuse d'une conférence de Borges ou d'un essai de George Steiner), il en viendra à calculer, en se basant sur son espérance de vie supposée, combien de livres il va pouvoir encore lire avant sa mort, et le résultat le désespèrera toujours, lui qui a pris conscience que ce ne sera jamais assez pour pouvoir lire ne serait-ce que le dixième des livres qui l'intéressent. Ce qu'il trouve dans le plaisir de la lecture est divers : une histoire, un univers et des personnages intéressants, bien sûr, mais aussi un style unique, une "voix", et pourquoi pas une vision du monde différente de la sienne, une perception, une esthétique ou une éthique nouvelle. Ayant généralement commencé, comme tout le monde, par le roman ou encore la poésie, il en vient à diversifier ses lectures et se jette alors sur tout et n'importe quoi : essais littéraires, philosophiques, religieux, historiques, critiques, et j'en passe. Malgré ça il ne sera jamais satisfait, sa curiosité étant toujours plus attisée, sa contagion se propageant de livre en livre! Au fond, son mode de lecture est une forme subtile de sado-masochisme où le plaisir de la lecture et la découverte de nouvelles références est aussi l'occasion de se mortifier sur le nombre de bibliothèques qu'il lui reste à abattre! Chaque savoureuse ligne d'un chef d'oeuvre lui fouette l'âme et le renvoie à son inculture crasse, à l'abysse insondable de tout ce qu'il ne sait pas encore! Ce lecteur est le martyr de la névrose littéraire, un condamné monomaniaque dont on ne commuera jamais la peine et qui mourra, un livre à son chevet, en regrettant de ne pouvoir jamais le finir. Croyez-moi, ce piteux Sisyphe est bien à plaindre! Son auteur préféré : cet article n'en finissant décidément pas, je préfère épargner à mon éventuel lecteur le recopiage de l'encyclopédie de la littérature mondiale!


Conclusion en forme de morale :
A la réflexion, et en observant le sort désastreux qui attend un lecteur imprudent, on en vient à mieux comprendre le lecteur des statistiques, ce malin bien conscient des dangers qu'il encourt et qui ne goûte au poison de la littérature qu'au compte-gouttes, n'embrasse ce vice que du bout des lèvres! Ah! de tous n'est-il pas finalement le plus sage des lecteurs, celui qui a tout compris, anticipe et agit avec raison? C'est bien possible.

3.03.2007

Pourquoi blogger? (où l'auteur s'en prend encore plus aux autres qu'à lui-même)

Oui, pourquoi?
Question stupide, en vérité. La vraie question, celle qui résume à elle seule les temps post-modernes, celle qui court-circuite en un éclair la réflexion dans chaque cerveau qu'elle traverse, avant tout achat compulsif, toute inutile baise d'un soir, toute lâche procrastination, est exactement l'inverse :

POURQUOI PAS ?

Eh oui, après tout, pourquoi pas? Pourquoi ne serais-je pas l'énième mouton à polluer de son verbe immature la toile engluée? Hein? Qui va me l'interdire? Et peu importe, après tout, que personne ne tombe jamais sur cette pauvre bouteille de fiel jetée à la gueule de tous les requins de cet océan... On fait un blog d'abord parce que l'on aime pas ceux des autres, voilà.

Vrai, ça manque violemment de bons blogs, le web francophone... C'est à faire pleurer! Les amoureux de littérature, par exemple, doivent se taper jour après jour les frénétiques méta-branlettes d'un Stalker, les copieuses digressions germano-pratines d'un Pierre Assouline, les lénifiantes aventures ego-diaristiques d'un Raphaël Juldé ou les discussions chiff(r)ons de bobo-pipelettes comme la Muselivre. En vérité, mes frères, je vous le dis : c'est pas une vie!

Alors voilà, ça vaut ce que ça vaut, mais ici, MOI, JE, TheNightWatch, Anarque de mon état, ne prétend à rien d'autre qu'intéresser un peu les lecteurs aventureux arrivés jusqu'en cet antre, en partageant avec eux mes goûts (variés & nombreux), mes dégoûts (beaucoup moins variés mais bien trop nombreux) et tout ce qui, sur l'actuel ou l'intemporel, pourra bien encombrer mes petits neurones musclés. Demandez le programme!

Allez, mes agneaux, ce sera tout pour aujourd'hui. Rompez!

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