3.20.2007

Bataille des Thermopyles, deuxième !

Jamais le contraste n’avait été aussi cocasse. Passez devant l’entrée d’un cinéma, demain, et arrêtez-vous deux secondes pour méditer devant ces affiches… Paris et Hollywood sortent le même jour leur dernier poids lourd ! 300 contre Ensemble, c’est tout. Attention, duel au sommet, choc des Titans, suspense intégral ! Le roi Léonidas versus Amélie Poulain ! Mais qui va gagner ?! Moi je parie mes DVDs qu’Amélie est chocolat et que Guillaume va canner ! Les Spartiates ont pas seulement massacré les Perses, ils reviennent pour se payer les Français ! Ce serait drôle si ce n’était pas si honteux. Résumons-nous.

A ma gauche, Claude Berri, dit "le Parrain IV", grand manitou du cinéma français depuis deux décennies. C’est simple, quand un film français coûte plus de trois sous et qu’il n’est pas produit par l’inénarrable Besson ou le CNC, c’est que Berri père ou Langmann fils est dans le coup. L’impuissant dépressif le plus célèbre de l’Hexagone, qui n’a pas eu la bonne idée d’en finir comme Hemingway, nous sort donc de son sac à vomi malices une adaptation bien intimiste comme il faut du petit phénomène littéraire d’il y a deux automnes, Ensemble, c’est tout, roman franchouille de la bonne élève Anna Gavalda. Cerise confite sur le gâteau gâteux, il convoque pour la peine les deux vieux jeunes les plus bankables de ces dernières années, nos vedettes américaines à nous : Audrey "Da Vinci" Tautou et Guillaume "La plage" Canet. Finalement, la seule vraie surprise, c’est encore que Berléand ne soit pas quelque part au générique !

A ma droite, Zach Snyder, jeune réalisateur arrivé au culot, par la force du poignet et la justesse du coup d’œil, en rajeunissant avec talent dans L’armée des morts un classique du cinéma d’horreur. Bref, un réalisateur, quoi. Mais lui n’adapte pas un beau roman français moderne, l’inculte ! Non, il se rabat sur une "bédé"* ! Ah l’infâme, préférer Frank Miller à Anna Gavalda ! En plus, il a le mauvais goût de prendre le risque d’apprendre quelque chose aux spectateurs en retraitant audacieusement un des premiers mythes historiques, vieux de 2487 ans : la furieuse bataille des Thermopyles où l’inégalable armée de Sparte se sacrifia pour faire fondre sévèrement les contingents du roi perse Xerxès. Les mauvaises langues diront sans doute que Bush a commandé ce film de propagande pour taquiner Ahmadinejad… Qu’importe, il suffit de voir une bande-annonce pour faire taire les sarcasmes : c’est du péplum, oui, et du Cecil B. Troismille, au bas mot ! D'accord, c’est m’as-tu-vu, c’est outrancier, le sang gicle au ralenti et Xerxès s'habille chez Voldo, mais voilà, c'est visuellement fantastique et ça a au moins le mérite d’oser. D'ailleurs ça ose tellement que pour jouer ses fantômes guerriers, Snyder choisit non pas Pitt ou Clooney, mais des acteurs méconnus au niveau international, comme l'excellent Gerard Butler.

Donc tandis qu’un cinéma français débile de consanguinité n’en finit pas de crever d’entretenir son inanité, son sale vernis hypocrite de pseudo-culture , et adapte mollement des romans contemporains bien intentionnés écrits avec les pieds**, Hollywood se paie une nouvelle jeunesse, aussi putassière et caricaturale soit-elle, en osant confier des sommes monstrueuses à un jeune réalisateur imaginatif qui redonne en l’espace de deux heures une visibilité populaire et un attrait "djeuns" à une légende qui a déjà traversé les temps et toute la culture occidentale, depuis Hérodote jusqu’à Frank Miller en passant par Byron. Que le meilleur gagne !

Un duel haletant en perspective


Bien sûr, on peut d’avance pronostiquer le résultat : toute la France (surtout mâle) de moins de 40 ans va se ruer, moi compris, pour aller voir le film américain, pendant que les sièges seront laissés libres pour les petits bobos et les vieux dans les salles diffusant le film national. C’est ça, la belle exception française ! Maintenant, posez-vous cette simple question : où se trouvent les gens qui devront construire le futur de la belle cultureuh françouèse : devant l’écran passant 300 ou celui passant Ensemble c’est tout ? Moi je ne demande pas mieux que de défendre le cinéma français ! Mais faudrait quand même avant ça qu’il arrête de se tirer des balles dans le pied… Et qu’il renaisse en s’appuyant sur ce qu’il fut, et non sur son cadavre empaillé. Fait révélateur : l’acteur principal de 300, Gerard Butler, tourne en ce moment dans une adaptation de Thérèse Raquin faite par… des anglo-saxons. Alors je demande, au cas où : il est où, notre nouveau Marcel Carné ?

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* Les anglo-saxons font eux la distinction entre « comics », soit le tout-venant de la bande dessinée et « graphic novel » dans le cas qui nous occupe, soit roman graphique, terme usité pour les productions plus ambitieuses artistiquement et généralement destinées à un public adulte.

** Gide avait définitivement vu juste : c’est avec de beaux sentiments qu’on fait de la mauvaise littérature. Heureusement pour lui, il est mort en 49 avant Et si c'était vrai.

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