3.06.2007

Typologie sommaire des lecteurs (où l’auteur révèle au monde ses penchants SM)

Commençons par une lapalissade, les choses les plus évidentes étant toujours bonnes à rappeler : une littérature ne vit que dans la mesure où elle possède des lecteurs et même, dans l’absolu, qu’en proportion de ce lectorat. C’est pourquoi, dans ma quête sacrée visant à tâter le pouls de la littérature française, vais-je prendre le problème à l’envers. Nan, parce que c’est bien joli de s’intéresser aux auteurs, mais au final, la littérature n’est faite que de lecteurs, l’écrivain n’étant qu'une catégorie minoritaire et particulièrement perverse du lectorat global.

Donc, pour savoir où en est la littérature française, posons-nous innocemment si vous le voulez bien (si vous voulez pas c’est pareil!) cette simple question : qui sont les lecteurs français ?

Si j’étais sociologue au CNRS ou menteur sondeur chez BVA, je vous dirais simplement que le Français est cet âne qui ne met chaque année pas plus d’argent dans l’achat de livres que dans celui de casseroles. Alors à moins que le Français statistique ne s’achète chaque année une batterie neuve de casseroles à plasma avec Dolby 5.1 de chez Bang & Olufsen, on dirait bien à vue de nez que le Français est un planqué qui n’est même pas foutu de se payer plus d’un livre grand format par an, dans le meilleur des cas (moi je n’achète que des casseroles Leader Price, la question est réglée). Mais je crois que je vais arrêter là avec les statistiques à deux centimes, les sondeurs n’ayant manifestement jamais appris à l’école cette règle élémentaire des mathématiques qui veut qu’on ne peut pas multiplier des carottes avec des patates (si si, souvenez-vous…). Contentons-nous alors de brosser un rapide panorama en divisant la masse globale des lecteurs en quelques types précis :

- le Français illettré : évidemment, il ne peut pas faire partie de la catégorie des lecteurs, mais il pèse dans la balance statistique, en répondant invariablement "zéro" au fumiste qui l’a dérangé par téléphone alors qu’il était tranquillement en train de regarder Attention à la marche !

- le lecteur des statistiques : oui, il existe bien ! Il n’achète qu’un livre ou deux par an, qu’il ou elle va lire en dormant l’été sur la plage après s’être mollement laissé convaincre par Guillaume Durand, PPDA ou Ruquier (rayez les mentions inutiles) - qu’elle ne pouvait pas continuer à vivre sans avoir lu Un grand cri d’amour de Marc Bidule (pour mesdames) ou - parce qu’il a eu un surprenant début de gaule (la fameuse "demi-molle") en tombant sur une interview de Bénédicte Martin, Lolita Pille, Claire Castillon ou Eliette Abécassis (dans le dernier cas, on recommandera amicalement au monsieur une consultation chez un sexologue). Parfois, le lecteur des statistiques est tellement rapiat qu’il n’achète même pas un livre par an et préfère attendre Noël, ce moment magique de l’année où Tata Yvette lui offrira le dernier prix Goncourt. On notera au passage qu’à l’automne dernier l’académie Goncourt a sciemment conspiré pour mettre Tata Yvette dans la merde, primo parce que Les bienveillantes se vendaient très bien avant le prix, et que Tata ne peut décemment pas prendre le risque d’offrir un doublon à son neveu chéri et secundo parce que le pavé de 900 pages écrit en chiures de mouche, ça fait quand même un peu encombrant dans le sac de plage! Heureusement pour Tata, il lui reste les recommandations de bon goût des autres corrompus jurys littéraires (avec une préférence pour le Flore, qui ne pèse jamais bien lourd, dans tous les sens du terme). Reste cette question inquiétante : que deviendrait le lecteur des statistiques si on mettait fin aux promo-copinages médiatiques et si Tata se mettait à lui offrir enfin des casseroles, hm ? Son auteur préféré : Cherchez dans les listes des meilleures ventes.

- le lecteur en quête de crédibilité : attention là on attaque le lourd! Celui-ci, bien sûr, achète plusieurs livres par an, et même plutôt en grand format (parce qu'il a de l'argent à dépenser), et quelque chose me dit que cette catégorie est majoritairement constituée de femmes actives (moi, misogyne?), de fils à papa mal peignés qui sirotent au Café de Flore ou de tapettes gentils homosexuels du Marais. Par commodité, et parce que je suis une feignasse, je n'en continuerai pas moins à l'appeler "il". Non mais. Il se force souvent à veiller tard pour ne pas rater l'émission de Durand (PPDA, c'est TF1, donc trop "populo", même si on y présente les mêmes livres...), voire fera l'effort de se lever tôt un dimanche matin pour regarder la 5ème ("aaaah, Isabelle Motro..."). De manière générale, il ne manquera pas non plus de feuilleter ostensiblement Le Monde des Livres à la cafèt' chaque vendredi que Dieu fait. Bref, on a compris, le lecteur en quête de crédibilité, abonné aux Inrocks quand ce n'est pas à Télérama, pense que Josyane Savigneau, Arnaud Viviant ou Sylvain Bourmeau ont toujours raison et ne cherche par la lecture qu'à redorer un peu son blason culturel et se payer du prestige à peu de frais afin d'avoir de quoi causer dans les dîners en ville. A noter au passage qu'on peut diviser géographiquement cette catégorie en deux : - les Parisiens, qu'on qualifiera de modèle hardcore du lecteur en quête de crédibilité, mais qu'on pardonne un peu, parce que bon, dans une grande ville toute pleine de belle culture comme ça, on s'intègre comme on peut, hein? - et les autres, provinciaux pathétiques qui ne rêvent que de devenir parisiens et n'ont quant à eux aucune excuse. D'où qu'il soit, ce lecteur n'est finalement qu'un toutou bien consciencieux qui lit là où on lui dit de lire, jamais ailleurs, et sa foi dans les prescriptions culturelles des critiques est sans borne. Malheureusement pour lui, ce qu'on lui vend comme de la littérature n'est généralement que de la merde, mais va-t-on vraiment le plaindre? Après tout, si on n'avait plus droit de traiter les cons comme ils le méritent, où irait le monde? Son auteur préféré : Christine Angot, bien sûr!

- le lecteur en quête de sensations : voilà la catégorie de lecteurs la plus sympathique qui soit! Tout l'opposée de la précédente, qui ne marche que sur l'apparence. Le lecteur en quête de sensations est généralement un gros acheteur, mais parce qu'il n'est ni riche ni prétentieux, il se borne souvent aux livres de poche, qui lui permettent, grâce aux économies faites sur les grands formats, d'acheter encore plus de livres. Il lui arrive même régulièrement de chiner dans les bacs d'occasion histoire de dégoter l'affaire du jour et de se faire une réserve de lectures hebdomadaire (au moins 3 romans) pour moins de 10 euros. On le retrouve beaucoup dans les rayons de ce que les critiques péteux d'avant appelaient "sous-littérature" : romans policiers, fantastiques, de science-fiction, d'aventure, à l'eau de rose... Oui, la mémé qui vient acheter ses deux Harlequins à Monoprix tous les matins en fait bien partie! Pour ce lecteur, la littérature n'est avant tout qu'une formidable machine à fictions, un grand puits à sensations, la question du style ou du "message" n'étant que très secondaire. Il recherche donc surtout le dépaysement dans la lecture (peut-on vraiment lui donner tort?) et c'est précisément pour cette raison qu'on le croisera souvent le nez dans son bouquin sur le quai de la gare, dans le bus ou le métro. Cette utilisation ingénieuse du livre lui permet alors de passer agréablement le temps en évitant d'avoir à regarder les sales gueules de ses congénères qui rentrent du travail, eux aussi, mais les mains vides (oh l'erreur!) ou avec Les Echos sous le bras (ah l'horreur!). Attention néanmoins de ne pas s'emmêler les pinceaux : dans les transports en commun, on trouve aussi parfois le lecteur de la catégorie précédente, mais tandis que celui-ci tient toujours son gros livre de sorte que l'on remarque bien qu'il lit des choses exigeantes avec un air pénétré, il est par contre impossible de réussir à voir la couverture du livre de poche trituré de notre lecteur boulimique (expérience personnelle) et c'est bien dommage! Son auteur préféré : il en a beaucoup, mais en général il ne fait jamais la couverture des Inrocks! N.B. : avec le temps, un peu de curiosité, et pas mal de persévérance, il est fort possible que le lecteur de cette catégorie glisse imperceptiblement dans la suivante, j'ai nommé...

- le lecteur en quête de Beau et de Vrai : Comme dit juste au-dessus, il est rare de nos jours que le lecteur de ce genre apparaisse par génération spontanée, à moins d'avoir eu lui-même de grands lecteurs dans sa proche famille (ou un prof passionnant) et d'avoir été privé de télé et de jeux vidéo toute son enfance. A l'exception de ce genre d'extra-terrestres provenant habituellement de la bourgeoisie à l'ancienne, il est donc un lecteur de la catégorie précédente ayant muté lentement. A un certain point de ses lectures, sans le vouloir et par le biais de "classiques" ou d'olnis (objets littéraires non-identifiés), il va se forger un goût critique autonome et commencer à faire sérieusement le tri avant d'ouvrir son porte-monnaie à la FNAC. Sa quête, c'est LE livre, celui qui va à la fois l'intéresser, le bouleverser et l'obliger à remettre en cause une partie de ce qu'il croyait jusqu'alors. Trouvant parfois la pitance un peu trop maigre dans le rayon des nouveautés, il est bien obligé de se rabattre sur les classiques, de quelque époque qu'ils soient. Il est curieux, et une lecture en entraînant une autre, il succombera à terme à une terrible maladie, incurable même par maraboutage : l'Insatisfactionnite Perpétuelle! Car plus il verra croître sa culture livresque, plus il réalisera combien elle est insignifiante... Lors de crises aiguës (souvent provoquées par la lecture vertigineuse d'une conférence de Borges ou d'un essai de George Steiner), il en viendra à calculer, en se basant sur son espérance de vie supposée, combien de livres il va pouvoir encore lire avant sa mort, et le résultat le désespèrera toujours, lui qui a pris conscience que ce ne sera jamais assez pour pouvoir lire ne serait-ce que le dixième des livres qui l'intéressent. Ce qu'il trouve dans le plaisir de la lecture est divers : une histoire, un univers et des personnages intéressants, bien sûr, mais aussi un style unique, une "voix", et pourquoi pas une vision du monde différente de la sienne, une perception, une esthétique ou une éthique nouvelle. Ayant généralement commencé, comme tout le monde, par le roman ou encore la poésie, il en vient à diversifier ses lectures et se jette alors sur tout et n'importe quoi : essais littéraires, philosophiques, religieux, historiques, critiques, et j'en passe. Malgré ça il ne sera jamais satisfait, sa curiosité étant toujours plus attisée, sa contagion se propageant de livre en livre! Au fond, son mode de lecture est une forme subtile de sado-masochisme où le plaisir de la lecture et la découverte de nouvelles références est aussi l'occasion de se mortifier sur le nombre de bibliothèques qu'il lui reste à abattre! Chaque savoureuse ligne d'un chef d'oeuvre lui fouette l'âme et le renvoie à son inculture crasse, à l'abysse insondable de tout ce qu'il ne sait pas encore! Ce lecteur est le martyr de la névrose littéraire, un condamné monomaniaque dont on ne commuera jamais la peine et qui mourra, un livre à son chevet, en regrettant de ne pouvoir jamais le finir. Croyez-moi, ce piteux Sisyphe est bien à plaindre! Son auteur préféré : cet article n'en finissant décidément pas, je préfère épargner à mon éventuel lecteur le recopiage de l'encyclopédie de la littérature mondiale!


Conclusion en forme de morale :
A la réflexion, et en observant le sort désastreux qui attend un lecteur imprudent, on en vient à mieux comprendre le lecteur des statistiques, ce malin bien conscient des dangers qu'il encourt et qui ne goûte au poison de la littérature qu'au compte-gouttes, n'embrasse ce vice que du bout des lèvres! Ah! de tous n'est-il pas finalement le plus sage des lecteurs, celui qui a tout compris, anticipe et agit avec raison? C'est bien possible.

1 Comment:

Captainpascal a dit…

Salaud ! Vous m'avez percé à jour ! J'ai demandé les Bienveillantes à Noël !
Sinon excellent article ! D'une pertinence qu'on aimerait bien trouver dans les pages littéraires de ces torches cul que l'on appelle magazines.

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